À l’aigu chant des criquets, le ruisseau coule. Il se roule entre les pierres, chemine comme on l’y dispose. On dérange son lit pour réveiller d’une torpeur d’endormi la vaillance de son flux. Plus bas, le bassin se gorge de l’eau du ruisseau, et il se gonfle à saturer. Son trop plein déborde et le ruisseau l’emporte. Et cette danse sera éternelle, autant que l’Homme façonneur le permet. Moi, je les observe, ces mains qui travaillent et s’agitent, déplacent des roches pour les heurter à d’autres. Ce sont celles qui troublent le ruisseau qui coule. Et ainsi en suit le vent, et ainsi en suit le temps. L’un souffle et l’autre m’emporte, et je me laisse couler jusqu’à mon bassin où j’attendrai mon trop-plein. Leur balade est longue alors j’éprouve ma patience et je pense…
Je pense aux temps perdus pour un pas grand-chose qui représentent beaucoup pour des cœurs. Déplacer des pierres et remplir un bassin qui débordera toujours mais jamais assez pour qu’on y plonge la tête. Je m’y suis accroché à ce temps que je voyais pris dans les remous du ruisseau, pour le garder encore un peu plus avant que définitivement je ne le perde. Mais il m’a échappé, peut-être pour le mieux, car je me suis arrêté pour contempler l’œuvre des mains qui l’avaient perdu. Il doit être loin maintenant ; le ruisseau ne s’arrête qu’une fois immergé dans les étendues infinie où tout se noie. Je compatis pour leur temps perdu, mais le mien finalement s’envole avec ces papillons bleus sous mes pieds à chaque courbe de crayon. Je laisse au vent l’ingratitude de l’éloigner de moi et je pense…
Je pense à cette présence qui ne trouble pas le ruisseau, cette solitude comme amie, que jamais je ne subis, qui toujours me plait. Elle est séduisante, de calme et de tolérance, son silence m’apprends à écouter, ces humeurs évasives m’apprennent à observer. Quand je pense avec elle, de petits geste assurés, elle me montre. Elle me montre ce que je veux, ce que j’espère, et sa malice lui refuse de m’en dire plus. Et puis son sourire, sans mots, devient narquois. Et alors elle me révolte, elle se moque et me raille, puis se jette dans le ruisseau quand on vient. Au loin, s’échappe avec lui. Et souvent, je ne la regrette pas, jusqu’à nos retrouvailles. Et puis ma bulle éclate, le trop-plein m’emporte avec des horizons nouveaux où j’aurai pour joie d’à nouveau perdre mon temps. Quand j’y serai, je le sais, je penserai…

