L’Enfant – 2

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« Tu n’es pas une bonne personne. » Tu sais, Enfant, je n’ai pas toujours eu ces yeux rouges gorgés de larmes, cette déchirure en lune déchue qui affliges mes traits. Je pense… Je pense qu’avant j’étais comme toi, avant que ton insouciance ne se perde dans cette plaine, avant que tu ne sois cette ombre. J’étais comme toi, et je me sentais en plénitude. Mais de temps à autres, de fines aiguilles s’insèrent dans la chair et finissent par percer le cœur gonflé d’un trop-plein, alors il goutte. Et quand le corps est sec, les coeur est vide. Je porte tous mes craquèlements qui se dessinent en orage sur ma peau blanchâtre. Qu’il y a t’il de mieux Enfant ? Perdre son visage ou perdre sa vie ?

« Tu n’es pas une bonne personne. » Dans ma tête secouée, tu n’es pas seul Enfant. Ne vois-tu pas ce diable qui fait de mon épaule un trône, et de ma faible carcasse une monture ? Quand les restes d’un courage en mirage me revitalise, je me tourne vers lui, vers ce diable qui me susurre à l’âme… Même le vent et sa chorale dissonante ne peut couvrir ces murmures. Ils passent, s’infiltrent, s’insufflent dans mes soupirs et bien vite tout me dépasse. Mais quand je le regarde, il n’a ni cornes, ni dents acérées, ni traits horrifiques. Il n’a rien d’un démon, ou alors c’est ainsi qu’on me voit, car il n’a rien d’autres que mon visage. Il me regarde et je me regarde, et ces mêmes soupirs évasifs qui saisissent mon âme jusqu’aux tourments ne me répètent qu’une parole. « Tu n’es pas une bonne personne. »

Ta bouche est close, que se passe-t-il ? Qu’ai je fait pour devenir mauvais aux yeux du mauvais, méprisable pour le méprisant ? J’ai blessé. Sûrement assez pour que la malice de Lucifer se confonde dans mon regard. Car il n’y a de cœur gorgé d’amour sans qu’il ne se vide en larmes. Ah ! Ces pauvres êtres que j’ai tant aimé et qui comme toi, se muent en ombre muette, se meurent dans un silence qui me tort la voix ! Que vous ai-je vraiment fait ?

Le vent s’est tu. Je ne désire que ses chuchotements de voix évanouies dans mes reflux de souvenirs, une dernière fois encore, entendre ces timbres qui ont tant imprégné ce que j’ai été. Souffle vent, souffle ! Pour cet enfant qui disparaît dans l’indifférence, pour ma solitude tenace, mais aussi pour cette amertume qui ne trouve de consolation…

« Tu n’es pas une bonne personne. » Sur mon autre épaule, il n’y a pas d’ailes blanches, pas d’espoir; et pourtant, le même poids sur des épaules affaiblies, qui ne manquent de se disloquer.

Il ne faut donc que six mots pour rendre l’âme prisonnière. Ils enchaînent mes poignets, meurtrissent mes chevilles, et me transpercent le côté. Bientôt, toute ma machinerie sera astreinte à la mort, non pas comme la tienne, Enfant, une différente. La tienne se fait sans bruit, elle emporte ton identité puis se tait, vole ton visage, puis disparaît, et toi, tu deviens ombre. Mais la mienne…. La mienne s’annonce par le raclement rouillé des chaînes, se complaît dans les déchirures de la chair, et se réalise dans le craquement des os.

Une plaine… N’est-ce pas ici qu’on souhaiterait le trépas ? Je te salue, ombre parmi les ombres. Et moi, sous ce ciel sans clartés, je m’en remets aux tourments qu’on réserve au malin. J’étais venu aimer, et je m’en vais haï. Je voulais rassembler, j’ai divisé ; je voulais protéger, j’ai blessé. C’est ainsi que l’homme s’aliène jusqu’à sa perte.

« Tu n’es pas une bonne personne. » Tu sais, Enfant, je n’ai pas toujours eu ces yeux rouges gorgés de larmes, cette déchirure en lune déchue qui affliges mes traits, et je n’ai pas toujours été cet être cadavérique qui s’en va en poussière. Puissent ces voix s’étouffer dans mon dernier souffle.