Dis-moi, où vas-tu, Enfant ? Où cours-tu ? Dis-moi, pourquoi trembles-tu, Enfant ? Dis-moi pourquoi. Cette plaine, vide, infinie au-delà des horizons, ne la reconnais-tu pas ? Ne l’as-tu pas déjà arpentée ? Tu étais plus jeune, je me souviens, et moi je pensais être heureux. Enfant ! Arrête-toi, prends ton souffle, retiens tes cris. Ici, il n’y a que des miroirs. Ils sont ternes, disposés comme les troncs sans feuilles et sans vie d’une forêt cauchemardesque. Si tu bouges un bras, si tu poses ta main contre ton cœur fragile, ces ombres s’agiteront. Ne prends pas peur de cette mascarade de mimétisme. Ces ombres n’ont ni sourire, ni malice… ni visage. Elles n’ont pas tes larmes. Ne crains pas d’en abandonner une sur ta joue ; elle ne se fracturera pas en multitude de perles. Ces ombres te garderont de ce déluge. Elles ne pleureront pas, Enfant. Aucune d’elle ne le peut, aucune d’elle ne le veut…
Dis-moi, où vas-tu Enfant ? Attends encore un peu, assieds-toi dans ces froides herbes. Je sais bien : elles ne sont pas douces, pardonne-moi ; elles piquent, éraflent, d’autres mordent. Mais attends encore un peu… Attends que le vent se lève. Car quand nous étions venus nous heurter à toutes ces ombres qui couraient sans se rapprocher, le vent nous avait emporté dans la danse. Tu ne t’en souviens peut-être pas, tu étais jeune, et ces ombres tordaient mon sourire. Le vent nous parlait mais nous ne pouvions lui répondre. Car il passait, quelques notes, quelques mots et puis se taisait. Et, quand il revenait, nous étions pris dans sa valse. Elle était si triste, tant de voix familières qui se mouraient quand le vent s’échappait entre les miroirs… Le voilà. Il se lève. Entends-tu Enfant ? Toutes ses paroles que tu as connues. T’entends-tu leur répondre ? Retiens tes cris, préserve ta voix, car le vent l’emportera au loin, comme il t’a apporté ces sonorités qui sont tues depuis si longtemps déjà. Elles viennent de l’au delà de l’infini de la plaine, et si elles sont si faibles, c’est que les bouches qui les ont prononcées se sont détournées de toi. Ici, il n’y a personne de plus que ces ombres qui se tordent quand ton cœur se froisse. Et le vent passe, nourri des derniers éclats de ta gorge sèche. Il était un peu en nuée argentée, dans ses bras, de subtiles étoiles brillaient. Étaient-ce tes larmes, Enfant ? Elles étaient ravissantes. Elles m’ont fait oublié, le temps d’un soupir, que le ciel est noir. Rien ne trouble son obscur. Il n’y a ni firmament, ni astre, ni nuages pour nous les dissimuler. Ce ciel est simplement noir. Je ne te vois plus si bien, Enfant, désormais. Tu es ombre parmi ces ombres. Je ne vois plus tes sourires, je ne vois plus tes malices… Je ne vois plus ton visage, et je ne vois plus tes larmes. Seuls tes sanglots m’affligent encore. Pourquoi sont-ils ? Est-ce cette solitude, au milieu de silhouettes difformes qui reproduisent impersonnellement ton agonie qui écrase ton cœur ? Ou bien ce silence comme seule réponse à tous tes appels déchirants ? Rassure-toi, nous n’avons plus personne à voir, plus de musique à entendre, ni celle des hommes, ni celle du vent. Les miroirs sont muets et les herbes bouffantes ne bruissent pas. Rassure ton cœur, ne le laisse pas s’écraser, Enfant, car nous n’en partageons qu’un et un jour cette plaine disparaitra dans une dernière brise, et nous emportera en ombre.

